Source : Irma, centre de ressources et d'information des musiques actuelles - Mathias Milliard
Entamées en 2002, les négociations entre employeurs et employés de la filière phonographique ont abouti le 30 juin 2008 à la signature d’une convention collective. Étendue depuis le 1er avril 2009, elle s’applique dorénavant à toutes les entreprises de ce champ.
Six ans de pourparlers ont été nécessaires pour établir ce texte qui encadre les conditions de travail et de rémunération des artistes sous contrat avec une maison de disques, mais également l’emploi des techniciens et des salariés permanents de ces entreprises. Des accords ont notamment été trouvés sur les revenus complémentaires aux cachets des artistes, l’emploi dans le cadre des showcases ou encore l’exploitation du back catalogue.
"Jusqu’à présent, l’industrie phonographique était assujettie en principe à la convention de la métallurgie, mais de nombreuses structures appliquaient le Code du travail sans convention, d’autres comme Wagram étaient affiliées à l’import-export avec un accord d’entreprise, ou pour certaines comme BMG à l’édition graphique".
Comme en témoigne ici Christian Bordarier (Fédération de la métallurgie - CFE/CGC), les cadres de travail et d’emploi dans la filière "disque" n’étaient donc pas harmonisés jusque-là, et aucune des conventions appliquées n’était spécifiquement adaptée et conçue pour les entreprises de l’édition phonographique. Or une convention collective permet d’ajuster l’application du Code du travail à un secteur, à ses fonctionnements, à son économie, à ses mécanismes particuliers, et de prendre en compte les spécificités de ses métiers, notamment vis-à-vis des conditions particulières d’exercice. Autrement dit, les négociations qui ont abouti à la signature de la convention collective de l’édition phonographique (CCEP) rentrent dans une démarche de structuration du secteur, d’autant plus nécessaire que les artistes et les techniciens partagent effectivement des conditions de travail particulières, et qu’ils vivent, comme les permanents et les employeurs, une situation socio-économique "de crise" depuis plusieurs années. Face aux restructurations et aux plans sociaux à l’oeuvre dans l’industrie phonographique depuis l’effondrement des ventes de disques, les syndicats d’employés permanents ont entamé une négociation avec leurs employeurs dès 2002. Un accord était en voie d’aboutir en 2004 lorsque le ministère de la Culture a souhaité étendre ces négociations à l’ensemble des emplois, y compris temporaires. Les ministères de la Culture et du Travail se sont ainsi investis en créant une commission mixte paritaire (CMP) où se sont ajoutés, à la table des discussions, les syndicats d’artistes et de techniciens.
Jusque-là, les relations entre maisons de disques et artistes étaient engluées dans une situation conflictuelle sur fond de cession de droits : "Historiquement, il y avait des accords entre les syndicats d’artistes, le Snam notamment, et les producteurs, comme ceux de 1959, puis de 1969, qui ont été dénoncés en 1993. Au début des années 90, la loi de 1985 sur les droits voisins commence à produire pleinement ses effets, et les producteurs décident de ne plus signer des accords avec une seule autorisation au moment de la séance de fixation, ce qui était pourtant la base des accords de 1969 (…) La doctrine du Snep était de faire dire aux tribunaux, en interprétant le protocole de 1959, que la signature de l’artiste musicien au moment de la fixation valait autorisation globale de l’utilisation de sa prestation." (Marc Slyper, Snam/CGT).
Il a fallu des années pour que les points de vue de chacun se rapprochent et qu’une longue négociation s’entame entre les partenaires sociaux. À l’exception du SNM-FO (lire les interviews) associé à la Spedidam, le Samup et le Snea/Unsa, tous les syndicats d’employeurs et de salariés se sont accordés sur les points d’équilibre à trouver et sont signataires de la CCEP.
Si les négociations ont concerné les techniciens et les salariés permanents, les points fondamentaux de la CCEP relèvent surtout de l’annexe artiste. Le texte établit une grille des salaires et institue des rémunérations complémentaires dont l’effet escompté est de réévaluer les revenus des artistes.
Cachet de base
La CCEP établit une grille des salaires minimums pour les artistes principaux (les membres d’un groupe font partie de cette catégorie) et pour les musiciens (sous-entendu non solistes) dans le cadre des enregistrements audio et des tournages de vidéomusiques.
Ainsi, dans le cadre d’un enregistrement en studio,
Au-delà de ces exemples, il convient de se référer à la grille des salaires établie dans la CCEP, car de nombreuses modalités existent selon les cas.
Rémunération complémentaire forfaitaire
Cette source de revenu complémentaire au cachet est une des nouveautés apportées par la CCEP. Les musiciens interprètes percevront dorénavant ce salaire de complément en
fonction d’une nomenclature des modes d’exploitation qui "a pour objet de déterminer les montants minimaux de rémunération dûs à l’artiste interprète au titre des modes d’exploitation de la fixation de sa prestation qu’il est susceptible d’autoriser" (CCEP).
Cette nomenclature définit six modes d’exploitation, allant de la commercialisation classique d’un disque à sa diffusion dans une publicité, sur Internet ou dans un jeu vidéo. "On a dénombré 73 utilisations que l’on a regroupées en six grandes catégories. Nous, on en aurait voulu dix, les producteurs en voulaient trois… Donc on a négocié et l’on s’est mis d’accord sur six catégories. Cette nomenclature des utilisations est intéressante car elle est vivante, et la convention collective peut ainsi évoluer en fonction des technologies et des nouvelles utilisations." (Marc Slyper) Pour chacun de ces modes d’exploitation, un musicien touchera un pourcentage (en général de 1,5%) de son cachet de base de 3 heures par minute utilisée.
À titre d’exemple, un musicien dont le cachet de base réglementaire de 3 heures est de 156,97 € et qui a enregistré un album de 60 minutes touchera 141,21 € (1,5% de 156,97 € x 60) pour chaque mode d’exploitation consenti. À noter qu’un plancher existe permettant de garantir au musicien un calcul basé sur un minimum de 7 minutes.
Rémunération complémentaire proportionnelle
Ce point est également une des grandes nouveautés apportées par la CCEP. Cette rémunération ne constitue pas un salaire mais une redevance perçue par les interprètes sur certains droits voisins des producteurs. Hervé Rony, directeur du Snep, souligne cette avancée et l’effort des maisons de disques : "Les musiciens recevront désormais 6 % des recettes que les producteurs obtiennent en gestion collective de la SCPP et de la SPPF", à savoir sur les exploitations secondaires (location, streaming Internet, diffusion sur mobile, attente téléphonique, etc.).
Le Snam aurait souhaité "que les rémunérations proportionnelles concernent toutes les utilisations, mais il a fallu accepter ce compromis. En contrepartie, nous avons obtenu 6 % de rémunération proportionnelle alors qu’on était parti sur 4 %, sauf sur les bandes enregistrées qui servent à sonoriser le spectacle vivant, où nous avons obtenu 30 %".
Showcase et captation de spectacles
Les "spectacles vivants promotionnels" n’étaient pas rémunérés jusqu’à présent. Ils donneront lieu dorénavant au versement d’un salaire sous forme de cachets, calculés selon le type de lieu accueillant la prestation "qui ne doit pas générer de contrepartie financière directe pour le producteur" (CCEP).
Le montant du salaire minimum pour un artiste principal est de 78 € brut par représentation dans un magasin et de 122 € dans une salle de spectacles. Pour les musiciens, il est respectivement de 92 € et de 125 € selon le lieu où se déroule le showcases.
Dans le cas de la captation d’un spectacle (hors captation promotionnelle lorsque seulement des extraits sont filmés), les artistes principaux comme les musiciens recevront un salaire minimum équivalent à 200 % du salaire conventionnel (selon la convention collective du spectacle applicable) pour la première captation, puis 50 % lors des deux captations suivantes. À partir de la 4e captation, une négociation de gré à gré doit avoir lieu, étant précisé que la rémunération totale ne peut être inférieure à 300 % du salaire conventionnel.
Les producteurs se réjouissent d’avoir également trouvé un accord spécifique pour l’exploitation du back catalogue, plus précisément pour les enregistrements effectués avant le 1er juillet 1994 (alors que les maisons de disques ne faisaient pas signer de cessions globales des droits). Cet accord "fixe les conditions dans lesquelles les producteurs peuvent régulariser les autorisations et verser les rémunérations" (Hervé Rony) sur ces enregistrements.
Marc Slyper explique le dispositif : "Un quitus qui va être envoyé au musicien qui leur demande de confirmer leurs autorisations. Dans le débat où les producteurs estimaient avoir l’autorisation alors que nous pensons qu’ils ne l’ont pas, les partenaires ont tranché en stipulant que, pour exploiter le fonds de catalogue, le producteur doit posséder le quitus signé par chaque musicien. En tout état de cause, si le musicien ne le signe pas, cela revient à une non-confirmation d’autorisation et la prestation ne peut pas être utilisée. Chaque musicien qui confirme son autorisation touchera 6,5 % de toutes les recettes générées par le fonds de catalogue, auquel s’ajoutent les rémunérations proportionnelles aux recettes d’utilisations comme inscrit dans la convention collective."
La CCEP possède un volet social qui regroupe deux aspects. Elle institue la création d’un "fonds social de l’édition phonographique" géré par
Audiens qui prendra "une forme originale de participation de 1 % du bénéfice réalisé par les producteurs" (Hervé Rony). Cette contribution sera prélevée par la SPRD des producteurs et Audiens pilotera le programme dont on ne connaît pas encore les modalités de fonctionnement.
La convention prévoit également une contribution qui alimentera le fonds de soutien à l’emploi des artistes interprètes. Cette contribution sera alimentée par les rémunérations des interprètes n’ayant pas été retrouvés dans le cadre de l’exploitation du back catalogue.
Derrière cette question de légitimité, les opposants au texte contestent de nombreux points de l’annexe, notamment l’idée que cette convention met fin à la cession globale des droits. Jean-Luc Bernard soulève avec perplexité cet exemple : "La convention dit que la cession peut être limitée dans le temps et géographiquement. On pourrait donc céder ses droits pour moins de 50 ans. Mais il n’y a qu’un seul barème de prévu et j’imagine que, si la cession est restreinte, les producteurs ne sont pas prêts à payer la même somme ! Si cela avait été imaginé, il y aurait au moins deux barèmes."
Relativisant la communication faite autour des avancées sur les rémunérations complémentaires, le syndicat assignataire rappelle que "ce ne sont que 6 % du revenu final des utilisations secondaires confiées à la gestion collective après déduction des frais (…) mais tout ce qui est touché en direct par les maisons de disques échappe au 6 %."
Le SNM défend un autre projet où le producteur déclarerait les exploitations à la Spedidam avec un paiement calculé sur la base de barèmes mis en place de façon tripartite entre sociétés civiles, producteurs et syndicats d’artistes. "Nous pensons que les musiciens ont besoin d’une société civile forte, notamment d’un service juridique fort, avec des syndicats qui travaillent en bonne intelligence avec leur société civile et inversement. Parce qu’on est moins fort séparément que représenté ensemble par une société civile. Avec cette convention, le détricotage du secteur est commencé."
À l’opposé, les signataires de la CCEP se félicitent du travail accompli et mettent en avant l’équilibre trouvé dans cet accord. Pour Hervé Rony, "cette convention devrait à l’avenir faciliter les exploitations tout en donnant aux artistes une protection sans équivalent en Europe".
La dynamique partenariale qui se dégage à l’issu de plusieurs années de négociations abouties semble être une des grandes avancées partagées côté employeur et côté employé. Si le Snep estime que le secteur s’est donné les moyens "de ne pas être rattaché à terme par l’État à tel ou tel autre secteur", le Snam va plus loin et estime que ces négociations ont permis "de créer un réflexe de filière et de travailler avec les producteurs pour établir un rapport de force favorable à la filière musicale (…) Il ne faut pas que l’édition phonographique attende que la justice dicte le droit. Nous devons développer un réflexe de filière, où artistes musiciens et producteurs travaillent ensemble à régler un certain nombre de conflits".
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